Atteint d’une maladie rare depuis près de vingt ans, Jean-Philippe Plançon a fondé une association de patients (l’ANFP) sur un constat de carence: aucune structure n’était capable de répondre à ses questions ou de conseiller les personnes atteintes de Neuropathies Périphériques.
Dans cet article, il revient en toute transparence sur le rôle des associations de patients et évoque son entrée dans le monde de l’advocacy.
Le role des associations de patients
Peux-tu nous présenter ton parcours ?
J’ai un parcours professionnel assez diversifié. Je me suis toujours beaucoup intéressé aux sujets politiques, juridiques, sanitaires et aux grands enjeux de société.
Tour à tour infirmier D.E, cadre de santé, enseignant, je dirige l’Association Française contre les Neuropathies Périphériques (AFNP) et suis titulaire d’un master en sciences de la santé, d’un DIU maladies rares, d’un executive Master in advocacy, d’un DU en lobbying Européen. Je suis aussi un “vieux” doctorant en droit de la santé…
Atteint d’une maladie rare depuis près de vingt ans, j’ai fondé l’AFNP en 2006 sur un constat de carence. En effet, aucune organisation n’était alors capable de répondre à mes questions et il était évident que je n’étais pas le seul à devoir faire face à ces problématiques.
Qu’est-ce-qu’une association de patients ?
Les associations de patients ont souvent pour ambition de fédérer les malades (et/ou leurs proches) autour de maladies définies. Elles cherchent à accompagner les malades par une action directe, à mieux faire connaître ou reconnaître des maladies, à soutenir la recherche, ou encore à porter la voix des patients pour améliorer leur prise en charge.
Peux-tu nous parler un peu plus de ton association ?
L’AFNP est une association nationale qui a pour ambition de faciliter le parcours de soins de malades atteints de neuropathies périphériques acquises rares. L’orientation vers un centre expert, la mise à disposition d’informations et le partage d’expérience, la mise en oeuvre de programmes d’éducation thérapeutique ou encore la promotion de la recherche sont quelques unes des missions essentielles de l’AFNP.
Porter la voix des malades au niveau national, international et contribuer à faire progresser les politiques de santé à travers des actions de plaidoyer constitue aujourd’hui l’un des piliers de l’AFNP.
Interactions entre les associations de patients et l’industrie pharmaceutique
Comment les associations de patients sont-elles financées?
Les financements associatifs sont assez variables. Si vous prenez l’AFM-Téléthon, c’est essentiellement la générosité des français qui la finance.
Pour d’autres, les cotisations de membres et des actions ponctuelles de collectent suffisent. Parfois, des subsides publics sont octroyés mais ils sont de plus en plus rares et souvent extrêmement complexes à décrocher.
Enfin, dans certains cas l’industrie accompagne les projets et le fonctionnement des associations.
Quelles sont les interactions entre les associations de patients et l’industrie pharmaceutique ?
Les interactions entre les patients et l’industrie sont strictement encadrées par la loi et seules les associations, en leur qualité de personnes morales, peuvent bénéficier de dons de la part de ces industries pharmaceutiques.
Cette collaboration est indispensable alors que le secteur public n’est que très peu présent dans le financement des associations de patients sauf à considérer certaines associations agréées (l’AFNP étant d’ailleurs agréée). Dans le cas des maladies rares, ce partenariat est encore plus nécessaire pour développer notamment des outils ou des projets destinés aux malades eux-mêmes, mais aussi à un plus large public.
Concrètement, comment travailles-tu au quotidien? Quels sont tes objectifs?
Bien que je dispose d’un mandat social, l’AFNP est une petite structure sans salarié. La priorité va aux malades qui nous sollicitent: généralement lorsqu’ils sont dans une impasse diagnostique ou thérapeutique.
Les pénuries répétées de médicaments et l’impact désastreux sur les malades m’ont conduit à développer une réelle expertise dans ce domaine et les actions de plaidoyer constituent aujourd’hui une part importante de mon travail.
Les méthodes que j’emploie sont strictement les mêmes que celles utilisées par tous les lobbyistes. Cela passe par un travail de recherche, de rédaction, d’échanges formelles et informels.
Je rencontre régulièrement des décideurs politiques, des membres de la haute administration et bien plus largement toutes les parties prenantes susceptibles de se coaliser sur tel ou tel sujet d’intérêt commun. C’est une partie de mon travail à la fois fascinante mais également frustrante, tant le temps des malades n’est pas celui des politiques.
Notre objectif général est en réalité simple: répondre aux besoins des malades en attendant que les neuropathies périphériques soient éradiqués.
La démocratie sanitaire et le processus législatif
Tu es impliqué dans de nombreux groupes de travail au niveau français et européen: peux-tu nous en dire plus (utilité, fonctionnement, etc) ?
Mon engagement associatif m’a en effet conduit à exercer peu à peu des missions spécifiques auprès de différentes instances qui sont à la recherche d’une expertise-patients. C’est ainsi le cas de l’ANSM, de la DGS*, de l’INSERM, des filières de santé maladies rares, de l’EFS ou encore au niveau européen de l’EMA et des réseaux de référence placés sous l’autorité de commission européenne.
La démocratie sanitaire qui a pour vocation d’associer les acteurs du système de santé à l’élaboration et la mise en oeuvre des politiques sanitaires est en marche et c’est une bonne chose.
Comment les patients arrivent-ils à se structurer au niveau européen? Arrives-tu à travailler avec des associations issues d’autres pays?
Non seulement les patients se structurent au niveau européen mais ils sont régulièrement à l’origine d’avancées significatives. Je pense en particulier aux réseaux européens de référence (ERN) qui ont vu le jour sous la pression constante et construite d’associations comme EURORDIS.
Ces ERNs sont des réseaux de centres d’expertise et de prestataires de soins de santé organisés au niveau européen. Ils permettent notamment aux cliniciens et aux chercheurs de partager des connaissances et des ressources.
Dans le domaine des neuropathies inflammatoires-dysimmune, j’ai en 2018, proposé à plusieurs associations européennes de s’unir pour porter leurs voix au niveau des différentes institutions et de leurs acteurs. France, Italie et Roumanie ont ainsi posés les premières pierre de l’ONG EPODIN qui a vu le jour officiellement en 2019.
De nombreux échanges avec d’autres organisations ont lieu mais (i) tous les pays ne sont pas encore dotés de représentations associatives et (ii) toutes les associations n’ont pas encore compris à quel point leur force réside aussi dans leur capacité à travailler ensemble.
Le principe “Nothing about us without us” est essentiel. Il n’est pas concevable que des décideurs ou des organisation non représentatives de nos intérêts continuent de prendre des décisions pour nous, sans que nous soyons consultés.
Qui représente qui ? est une question fondamentale lorsqu’on s’intéresse aux éléments qui fondent une stratégie d’influence. Comment influencer le système dans le sens qui correspond à nos besoins en restant spectateur?
Quelles sont les principales difficultés que tu rencontres au quotidien?
La faiblesse de nos moyens contraint notre capacité d’action. Autrement dit, lorsque vous avez les moyens d’obtenir une représentation permanente de vos intérêts à Bruxelles, vous occupez le terrain et êtes susceptible de tisser des liens plus facilement avec les membres de la commission, les parlementaires et les attachés… vous êtes de fait réactif, voire proactif. C’est probablement aujourd’hui ma principale frustration au niveau européen.
L’organisation française est très différente et n’est, de mon point de vue, pas forcément plus facile. Ceci étant, le lobbying-associatif jouit dans l’ensemble d’une image positive.
Le plaidoyer des associations de patients
Tu as appris le plaidoyer sur le tas, quels conseils donnerais-tu aux patients désireux de se faire entendre?
A l’instar de Jourdain qui fait de la prose sans le savoir. Je n’ai pris conscience de ma condition de lobbyiste-associatif que progressivement.
J’ai aussi ressenti la nécessité de me former pour donner plus de force à mes actions dans le domaine des affaires publiques. J’ai donc suivi une formation, passé un DU Lobbying Européen avec l’Université de Strasbourg et un Executive Master in Lobbying avec l’ISEL de Paris.
Il existe de nombreuses formations et pour des patients, le diplôme influence et plaidoyer proposé par France Plaidoyer me semble également très intéressant. L’idée générale est de renforcer nos propres capacités opérationnelles et de bien comprendre les grandes lignes qui fondent les actions d’un lobbyist. Le reste, à mon sens, se passe sur le terrain.
La crise de la covid-19 a-t-elle changé le rôle joué par les patients dans le processus législatif?
Pour le moment de dirai que non. Il est évident que la crise sanitaire que nous traversons est de nature à réinterroger notre système de santé.
Dans une enquête en cours de publication à laquelle nous avons largement contribuée, sur près de 1400 patients atteints d’une pathologie neuromusculaires, 60% ont déclaré ne pas avoir pu accéder à leurs soins habituels pendant la première période de confinement ou au décours du déconfinement.
La question va au-delà du rôle des patients dans le processus législatif. C’est notre système hospitalier qu’il convient de réinterroger, au même titre que notre médecine libérale qui n’a pas toujours joué le rôle escompté. Il n’est pas acceptable d’avoir laissé livrés à eux-mêmes des milliers et des milliers de malades chroniques. Au-delà des constats toujours faciles à faire à distance de la phase aiguë, il nous faut être force de proposition et d’amélioration.
Une association comme France Asso-Santé représentant les usagers français du système de santé devrait permettre de faire entendre la voix des malades. Toutes les associations ne sont pas membres de cette organisation financée par l’état. Je crois qu’une conjonction des forces vives sera là encore souhaitable.
Comment faire pour améliorer le rôle joué par les patients dans l’élaboration des politiques de santé?
Pour le moment les représentant de patients doivent, comme tous les autres représentants d’intérêts, suivre les mêmes schémas d’influence.
Les acteurs publics ont toutefois un regard différent sur nos activités alors que nous n’avons pas d’enjeux d’intérêts financiers privés. Ce qui nous anime, c’est l’amélioration du système de santé dans une perspective d’intérêt général même si nous représentons à l’origine un intérêt particulier en l’occurrence d’une famille de malades ou d’un malade.
Les patients sont de plus en plus souvent associés aux réflexions sur les sujets de santé et c’est une excellente chose, mais le temps politique est rarement celui des malades.
Il faudra probablement encore plus de transparence dans les interactions entre tous les acteurs, mais la professionnalisation du lobbying-associatif est sans conteste une bonne chose.
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